en Novembre

Publié le par Marie

TOUSSAINT

Les bras chargés de pomponnettes cuivrées, j'accompagne Denise – 87 ans – pour la tournée des cimetières. Je l'aide à marcher sur les tombes trop rapprochées, un pied ne peut poser entre les dalles de marbre. Il faut marcher dessus, tant pis pour le respect.

Elle est toute petite, Denise, à peine elle arrive à mon épaule et avec ça, bavarde comme une pie
Tiens, celle d'à côté s'effondre, il va y avoir des infiltrations et chez nous ça va causer des dégâts …. Mitoyenneté, qui va payer ? Pas moi assurément, ni votre fils, Madame, encore moins les deux autres ….

Vous connaissez ma réticence, ça ne fait pas partie de mes principes : les fleurs, je les porte aux vivants. Les morts n'ont que faire des potées et puis pourquoi donc aujourd'hui et pas demain ? je vous choque belle-maman ? si vous comptez sur moi pour fleurir votre tombe, perdez cette illusion. Vous passerez un marché avec un fleuriste qui fera déposer en votre nom ce que vous choisirez et paierez d'avance, je n'irai pas vérifier !
Prenez moi donc le bras, vous allez tomber. Maxime pardonnez-moi.

Sortir. S'évader des profusions de boules, de tout ces gens qui adoptent des mines de circonstance et qui, le portail franchi, s'en vont au troquet d'en face "viens, on va s'en jeter un …."

C'est presque l'heure de l'apéritif. Non merci, pas pour moi. Un peu de vie fera le plus grand bien, j'ai l'humeur carnivore.

Aujourd'hui je décide, ce sera une carafe de vin de Californie avec le bison.

 A prononcer ces mots à voix haute, Vin, la Californie j'y vois bien autre chose que penser la boisson capable de m'enivrer. Demain.

 Quelle heure est-il ? minuit. Demain c'est aujourd'hui, le jour des Trépassés. Pas de la baie d'hier, celle dont tu me parlais, Hélène, quand Gaston s'absentait pour aller à la pêche. Les flots se déchaînent, les tourbillons d'écume viendront déborder mon clavier, rien ne peut arrêter. Quand j'étais fascinée par le vide.

 Le jour du souvenir. Du souvenir de ceux que j'ai connus de leur vivant, de la famille proche – la mienne exclusivement. Jacques et Louise, ta première, qu'avec ta fortune tu n'a pu sauver – pas encore de pénicilline miraculeuse au point quand elle décédée. Marie et Marguerite, mère et fille, ta petite-fille aussi dont on ne parlait pas et qui a retrouvé sa mère, du moins le croyait-elle. Reine et Clémence, des marraines, encore mère et fille, les hommes n'étaient plus. François-Xavier, dans quel cimetière es-tu ? Yvonne et Pierre ton mari qu'on a déterré dix ans après pour le déposer à tes pieds – ça, je n'ai pas supporté, il a fallu que je proteste, l'urne eût été placée à ta tête que l'effet aurait été différent ! l'avais-tu voulu ainsi ? Gérard à l'élan de jeunesse brisé quand Aurélien naissait. De quoi la vie est-elle faite ?


Quelle heure est-il ? cinq heures. Les vivants m'appellent. Pourrais-je voyager ? dans deux semaines, le beaujolais nouveau, comme en l'an 2000. Beaujolais. Vin. Vendanges. Victoire. 

Publié dans Elle

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article