Tocsin

Publié le par Marie

Les enfants ont des pouvoirs extraordinaires dont ceux de transformer les moments les plus dramatiques en jeux. Les enfants jouent à la guerre. Les enfants regardent la réalité avec indifférence et s'effraient devant le réalisme du cinéma. Marguerite n'alla jamais au cinéma durant sa jeunesse. Marguerite a vu couler le sang de son père. Marguerite a appris très tôt à assommer le maigre lapin pris au collet comme le lui avait montré Josef (je sais maintenant que son prénom s'écrivait avec un f)

 

Marguerite a saigné, vidé et cuisiné le lapin, plumé la poule, dépouillé le chat. Marguerite n'avait pas peur de voir le sang couler. Grâce à la bienveillance du curé, Marguerite apprend à lire, à écrire, à compter. En ce début de siècle, on apprend comme des perroquets. Marguerite réussit le Certificat d'Etudes à onze ans –c'est la fin de la scolarité obligatoire en ces temps reculés.

 

Pendant son enfance Marguerite travaille, ramasse le bois, balaie le sol de terre battue, lave le linge à la rivière pour soulager Marie, aide les hommes aux champs, durement quand la saison arrive. Vie pas du tout bucolique et encore moins idyllique.  Le tocsin sonne partout, les hommes se mobilisent ….

Marguerite a vécu la première guerre mondiale – ce ne sera pas la dernière. A vécu ce qu'on appelle pudiquement les horreurs de la guerre. Un trou, une méconnaissance de la période 14-18 dans la campagne picarde, peu d'écrits locaux les plus intéressants [la guerre et les rats ont mangé les journaux et les archives paroissiales] les mémoires se vident inexorablement. Il ne reste comme réalité connue qu'un voyage dans le Gers, ultime étape d'un long exode du nord au sud, passant par Marcinelle comme l'attestent certains papiers d'alimentation pour les réfugiés français. Marcinelle dont on parlera en 1956.

A-t-elle rencontré là-bas un beau soldat wallon, flamand ou teuton ? l'a-t-elle aimé ou bien a-t-elle subi ? Elle n'a jamais révélé ce secret. Pudeur ? honte ? Ce dont on est sûr, c'est que huit jours avant son dix-septième anniversaire, Marguerite, en présence de Marie et de sa plus jeune sœur âgée de trois ans, met au monde une fille : inconnue de père.

Publié dans Elle

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A
Inconnue de père, ou de père inconnu?J'aime cette ambigüité, voulue ou non, qui traîne en fin d'histoire. L'enfant n'aura pas trop de toute sa vie pour se connaître, je le devine déjà.Trop facile; n'est pas un lot commun, un lieu commun?Inconnue de père. Il faut le garder ainsi.Signé EQ7 masqué.
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